Lorsqu’une personne physique ou morale est victime de faits dommageables commis par un tiers via internet, il n’est pas toujours aisé de déterminer le tribunal compétent. Le Règlement 44/2001 sur la compétence judiciaire (dit « Règlement de Bruxelles ») prévoit, au sein de l’Union européenne, un ensemble de critères de rattachement permettant de désigner le tribunal compétent. La compétence de principe est celle du tribunal du domicile du défendeur (article 2). Le Règlement contient toutefois des compétences spécifiques, offrant une alternative aux tribunaux de l’Etat membre dans lequel le défendeur est établi. En matière de responsabilité extracontractuelle, l’article 5.3 du Règlement de Bruxelles permet de saisir les tribunaux de l’Etat « du lieu où le fait dommageable s’est produit ». Selon la jurisprudence traditionnelle de la Cour de Justice, cette disposition offre une alternative à la victime entre le lieu où le fait s’est produit et le lieu où le dommage a été subi (CJUE, aff. Shevill, C-68/93). En matière de délits commis via internet, se pose la question de la localisation des éléments de rattachement : dans le cas d’un contenu diffamatoire diffusé sur internet, où est localisé le dommage ? Où est localisé le fait dommageable ? Dans un arrêt du 25 octobre 2011 (aff. C-509/09), la Cour de Justice a nuancé sa jurisprudence, en y apportant des précisions cruciales pour les litiges relatifs à l’internet. La Cour a été saisie de questions préjudicielles concernant deux litiges. Dans un premier litige, était en cause le maintien sur un site internet autrichien en 2007 d’articles de presse relatant la condamnation d’une personne (établie en Allemagne) pour meurtre en 1999. Cette personne invoquait l’atteinte à son droit à l’honneur compte tenu de l’ancienneté des faits. Dans le second litige, un acteur français invoquait l’atteinte à son droit à la vie privée suite à la publication par un tabloïd britannique d’articles relatant une prétendue idylle entre l’acteur et une chanteuse australienne. Après avoir souligné la difficulté d’appliquer les critères traditionnellement retenus par sa jurisprudence dans le cas de litiges relatifs à des faits commis via internet (point 47), la Cour pose pour principe que ce sont les juridictions du lieu où la victime a le centre de ses intérêts qui sont les mieux placées pour apprécier l’impact du contenu mis en ligne, et donc le dommage (point 48). Le lieu où la victime a le centre de ses intérêts correspond (le plus souvent) au lieu de sa résidence habituelle (point 49). La victime d’un fait illicite commis sur internet a donc le choix de saisir soit le tribunal du domicile de l’auteur de l’acte litigieux, soit le tribunal de sa résidence habituelle. Dans ce cas, la victime peut demander la réparation de l’intégralité du dommage devant ce tribunal. La victime peut toutefois préférer introduire différentes actions dans les différents Etats membres où le site web était accessible, mais, dans ce cas, la réparation demandée ne pourra couvrir que le préjudice subi dans l’Etat membre concerné (point 52). Notre conseil : La récente jurisprudence de la Cour modifie d’une manière sensible le niveau de risque et le coût d’un litige international pour les entreprises actives sur le web. En posant pour principe l’attribution de compétence en faveur des juridictions du lieu de résidence de la victime, la Cour allège le poids d’une procédure pour cette dernière en lui permettant d’agir devant les tribunaux de son pays. Les complications et coûts sont ainsi reportés sur les épaules de la personne dont la responsabilité est mise en cause. Les implications de cette jurisprudence doivent donc être soigneusement mesurées lorsqu’un litige survient. L’intérêt d’une solution amiable sera sans doute renforcé pour le défendeur, afin d’éviter les coûts d’une procédure devant des juridictions étrangères.”