En date du 7 février 2012, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu deux arrêts de Grande Chambre dans les dossiers AXEL SPRINGER AG c/ Allemagne (requête n°39954/08) et VON HANNOVER c/ Allemagne (requêtes n°40660/08 et 60641/08), les deux dossiers traitant de la question de la couverture médiatique de la vie privée d’une personnalité publique. Le premier arrêt concerne la publication, par le journal le BILD appartenant au groupe « SPRINGER », d’articles dévoilant, photographies à l’appui l’arrestation pour possession de drogue d’un acteur allemand connu. La publication de ces articles avait été interdite par plusieurs décisions judiciaires, confirmées en appel, aux motifs que la protection de la personnalité de l’acteur en question l’emportait sur l’intérêt du public à être informé, d’autant que l’infraction en cause ne revêtait pas une gravité telle que sa révélation était d’une importance particulière pour le public. La société SPRINGER a invoqué son droit à la liberté d’expression, garantit par l’article 10 de la Convention. La Cour considère que les décisions des juridictions allemandes ont bien constitué des ingérences dans le droit de la société SPRINGER et que ces ingérences étaient bien prévues par la loi allemande. En ce qui concerne la nécessité de l’ingérence concernée, la Cour note que le public a intérêt à être informé de faits judiciaires publics et considère que l’acteur en question est bien un personnage public – dont la notoriété avait d’ailleurs été confirmée par la Cour d’Appel – ce qui renforce l’intérêt du public à être informé de la procédure judiciaire. La Cour note également les circonstances de l’arrestation, en public lors d’un grand évènement de la vie culturelle et festive allemande, le comportement antérieur de l’acteur, qui avait dévoilé sa vie privée à plusieurs reprises, le fait que la véracité des informations factuelles diffusées n’était pas contestée et que les articles incriminés ne relataient rien d’autre que les circonstances de l’arrestation et le déroulement de la procédure judiciaire. La Cour en conclut que les restrictions imposées à la société SPRINGER n’étaient pas raisonnablement proportionnées au but légitime de la protection de la vie privée de l’acteur et que l’article 10 de la Convention a été violé. Le deuxième arrêt concerne la Princesse Caroline VON HANNOVER et son mari, le Prince Ernst August VON HANNOVER. La Princesse Caroline avait déjà obtenu, en 2004, une décision de la Cour (n°59320/00) concluant à une violation de son droit à la vie privée lors de la publication de plusieurs articles attentatoires à sa vie privée dans des magazines allemands. Se prévalant de cet arrêt, la Princesse Caroline a engagé plusieurs nouvelles procédures afin de faire interdire d’autres publications de photographies. Les juridictions allemandes lui donnèrent raison concernant deux photographies sur trois mais considérèrent que la troisième relevait de l’intérêt public puisque l’article qui y était lié traitait de la maladie du prince RAINIER de Monaco, soit un évènement d’intérêt public.
Le recours était introduit sur pied de l’article 8 de la Convention, garantissant le droit à la protection de la vie privée et familiale. La Cour rappelle tout d’abord que la vérification de la bonne exécution, par l’Allemagne, du premier arrêt de 2004 n’est pas de son ressort, mais bien du ressort du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en vertu de l’article 46 de la Convention. La Cour observe toutefois que la Cour fédérale de justice allemande a modifié sa jurisprudence suite à l’arrêt VON HANNOVER de 2004 et a, en l’espèce, examiné si le compte rendu médiatique contribuait à un débat factuel et ne se contentait pas de satisfaire une curiosité du public. La Cour approuve également le raisonnement de la Cour fédérale qui a examiné le caractère informatif de la photographie – qui était seule visée par la demande d’interdiction de publication – à la lumière de l’article qui l’accompagnait. La Cour Européenne des Droits de l’Homme conclut donc que les juridictions allemandes ont procédé à une mise en balance adéquate des intérêts en présence et qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la Convention.
Notre conseil : La balance des intérêts lors d’un conflit entre liberté d’expression et protection de la vie privée est extrêmement délicate à réaliser. En outre, les montants en jeu – que ce soit en termes de dommages et intérêts ou de frais de procédure – peuvent être très importants. Toute publication sensible ou toute action judiciaire à l’encontre d’un média doit faire l’objet d’une analyse rigoureuse des risques et du rapport coût/bénéfice (d’autant que l’action judiciaire donne une publicité complémentaire à la publication litigieuse).
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