La réalité virtuelle et les hologrammes…
Une enfant joue dans un parc, sous le regard ému de sa maman. Rien d’anormal. Jusqu’à ce que la maman, en pleurs, retire son casque de réalité virtuelle. La petite fille est décédée depuis trois ans. Une équipe d’infographistes a récréé son avatar virtuel.
Il ne s’agit pas d’un épisode d’une série de science-fiction dystopique. Mais d’un documentaire de la télévision coréenne dont un extrait a été diffusé il y a quelques jours.
Les réactions fusent. Certains y voient une aide utile pour les personnes traversant un deuil.
D’autres y voient une dangereuse dérive. Les personnes endeuillées ne vont-elles pas se faire piéger dans une réalité alternative ? Ne vont-elles pas préférer interagir, encore et encore, avec cet avatar virtuel plutôt que d’affronter la cruelle vérité du manque ?
Enfin, les derniers y voient une opportunité de business. La société de réalité virtuelle en charge du projet semble d’ailleurs avoir reçu de nombreuses demandes.
… ressusciteront-ils les morts ?
Il est déjà possible d’applaudir des icônes de variété décédées. Les fans de Starwars se rappelleront que les studios ILM ont ressuscité Peter Cushing, alias Moff Tarkin, pour les besoins du film Rogue One. La regrettée Carrie Fisher, malheureusement décédée entre deux épisodes de la nouvelle trilogie, a été, elle, laissée en paix.
Les progrès de la réalité virtuelle, de l’infographie et de la technologie des hologrammes permettent déjà de réaliser des miracles technologiques. Mais certains ne se satisfont pas de la création de nouvelles images ou de la duplication de personnalités politiques. Les goûts d’une frange, apparemment toujours plus importante, du public tendent vers la nostalgie. Tout bénéfice pour les entreprises de l’entertainement : le catalogue est éprouvé, le public acquis, les hologrammes ne font ni caprices de star ni overdoses et, pour autant que la salle soit correctement équipée, il suffit de télécharger un fichier pour lancer le show…
Que dit le droit de l’utilisation de ces technologies, comme la réalité virtuelle, pour ressusciter les morts ?
Il convient tout d’abord de déterminer le droit applicable à l’image de la personne décédée. Les règles américaines, par exemple, varient d’un État à l’autre.
Et ensuite, la catégorie de cadre réglementaire à appliquer : droit à l’image, droit à la protection des données à caractère personnel, droit au respect de la vie privée…
Le Règlement général sur la Protection des Données (RGPD) ne s’applique pas aux personnes décédées
En Europe, le RGPD ne couvre pas les données à caractère personnel des personnes décédées. Il s’agit en effet d’un droit personnel qui s’éteint en même temps que la personne protégée. Les États membres peuvent prévoir des règles spécifiques. Le droit belge connaît, par exemple, des aménagements protégeant les données médicales des personnes décédées. La recréation d’une personne en réalité virtuelle nécessitant l’analyse d’une grande quantité de données (vidéos, images…), il est possible que le RGPD trouve à s’appliquer sur des données de personnes vivantes traitées à cette occasion.
En Belgique, le droit à l’image donne le pouvoir aux ayants droit
L’article XI.174 du Code de droit économique prévoit, dans des termes un peu désuets :
Ni l’auteur, ni le propriétaire d’un portrait, ni tout autre possesseur ou détenteur d’un portrait n’a le droit de le reproduire ou de le communiquer au public sans l’assentiment de la personne représentée ou celui de ses ayants droit pendant vingt ans à partir de son décès.
Concrètement donc, l’exploitation de l’image d’une personne, pour l’intégrer dans une simulation de réalité virtuelle, nécessitera l’accord des ayants droit pendant 20 ans à dater du décès.
Sauf si le défunt a prévu d’insérer une clause dans son testament, les héritiers disposent donc d’un large pouvoir pour autoriser, ou non, l’exploitation de l’image. Et il peut être très tentant pour eux d’accorder leur autorisation. Pour des raisons pécuniaires ou sentimentales évidentes.
Au-delà du droit, quelle éthique ?
Il est rare qu’une technologie soit intrinsèquement mauvaise. Ces utilisations, par contre, peuvent s’avérer dangereuses pour la société. Et la distinction s’avérer subtile.
Le fait de recréer une star décédée pour illustrer le prequel d’un blockbuster, après une négociation à coups de gros sous avec les héritiers, peut apparaître mercantile, mais assez inoffensif. Jouer sur la nostalgie du public en faisant tourner les hologrammes d’un groupe de rock décédé également.
Par contre, exploiter la douleur, la souffrance et le deuil est extrêmement problématique.
Être confronté à la mort et à la perte est une réalité difficile qui peut gravement affecter le jugement. Comment, dans ces conditions, parler d’un vrai consentement lorsqu’une entreprise propose de retrouver l’être qui vous manque dans un « paradis artificiel » taillé sur mesure ?
Il est possible que ces utilisations de la réalité virtuelle puissent réellement aider des personnes en souffrance. Mais, dans ce cas, elles ne devraient pouvoir s’opérer que sous supervision d’un médecin ou d’un thérapeute reconnu.
L’évolution de la technologie justifie à tout le moins que ces questions reviennent à l’agenda des politiques et qu’une réflexion sur les textes existants soit entamée en urgence.
Notre conseil :
Outre les aspects juridiques, l’éthique doit guider – et guide – notre réflexion en tant que cabinet d’avocat. Spécialement lorsque ces matières touchent à des questions aussi intimes que la vie privée, le deuil et la souffrance.