Il est fréquent qu’une partie soulève le non-respect de sa vie privée pour tenter de faire écarter une preuve qui lui est défavorable, qu’il s’agisse d’enregistrements vidéos, de courriels obtenus de façon illicite ou encore d’enregistrements sonores.
Jurisprudence française
La Cour de cassation française a décidé le 31 octobre 2012, qu’un rapport d’huissier de justice, ayant suivi une personne à son insu dans ses activités quotidiennes, pouvait être produit au titre de preuve. Il s’agissait en l’occurrence de déterminer si la personne éprouvait des difficultés à se déplacer, comme elle le prétendait pour demander indemnisation d’un préjudice consécutif à un accident de circulation.
Dans son pourvoi en cassation, l’intéressé alléguait des atteintes à sa vie privée. Son pourvoi a été rejeté, aux motifs que les atteintes portées à sa vie privée, sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, sans provocation aucune à s’y rendre, et relatives aux seules mobilité et autonomie de l’intéressé, ne sont pas disproportionnées au regard de la nécessaire et légitime préservation de droits de l’autre partie.
Jurisprudence belge
La Cour de cassation belge a également eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur la licéité de preuves obtenues, au regard de la protection de la vie privée. Elle a développé une jurisprudence très pragmatique, depuis un arrêt dit „Antigone„ du 14 octobre 2003, estimant qu’une preuve obtenue illicitement ne doit être exclue que si le respect de certaines exigences de forme est prescrit à peine de nullité, si l’illicéité commise a entaché la fiabilité de la preuve si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable.
Dans l’arrêt du 23 mars 2004, la Cour de cassation a répété cette position en ajoutant qu’il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicitement à la lumière des articles 6 de la CEDH et 14 du PIDCP compte tenu des éléments de la cause prise dans son ensemble, y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise.
Aussi en matière civile ?
Cette jurisprudence semblait limitée aux litiges de caractère pénal et les Cours et tribunaux se refusaient à l’appliquer en matière civile, écartant les preuves obtenues au mépris des règles protectrices de la vie privée. De même, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation française avait estimé en 2011, qu’en matière commerciale, « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».
La Cour de cassation belge a quant à elle fait application de la jurisprudence «Antigone» en matière civile dès un arrêt du 10 mars 2008, dans un litige opposant l’ONEM à un chômeur, consacrant ainsi définitivement cette jurisprudence. Cette jurisprudence est désormais appliquée par les juges du fond en toutes matières. Par exemple, le Tribunal du travail de Gand (T.T. Gand, 1er septembre 2008, TGR-TWVR 2009, n° 4, 275) qui a décidé que les courriers électroniques que le travailleur avait envoyés et qui ont permis le lancement d’une activité concurrente pouvaient être utilisés pour accepter le licenciement pour motif impérieux bien que le contrôle n’avait pas été annoncé, puisque la fiabilité de la preuve n’était pas entachée et qu’il n’était pas porté atteinte au droit à un procès équitable.
Perspectives
Il semble dès lors qu’avec son arrêt du 31 octobre 2012, la Cour de cassation française s’engage également dans cette voie en procédant en matière civile également, à une balance entre la violation de la vie privée et «la nécessaire et légitime préservation de droits de l’autre partie» qui produit la preuve litigieuse.
Cette jurisprudence ne doit pourtant pas pousser les parties à la légèreté en ce qui concerne le mode d’obtention des preuves. Même si la preuve obtenue illicitement n’est pas rejetée des débats, il est possible que la partie qui produit cette preuve soit condamnée de manière parallèle en raison des règles protégeant la vie privée, soit à une lourde amende administrative, soit une peine pénale, voire à indemniser la victime de la violation sur le plan civil.
Unsere Empfehlung:
Il convient de rester prudent et de se faire conseiller préalablement à tout usage d’un moyen de preuve susceptible d’enfreindre le droit au respect de la vie privée d’un tiers.
Au-delà de l’évaluation des chances de voir la preuve passer le «test Antigone», il faut également mesurer les risques de poursuites administratives, pénales et civiles du fait de cette violation de la vie privée.