Dans son arrêt du 11 septembre 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne répond à plusieurs questions préjudicielles au sujet de la numérisation par des bibliothèques, sans l’accord des titulaires de droits, de certains livres faisant partie de leur collection afin de les rendre accessibles au public sur des poste de lecture électronique.
La directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information prévoit que les Etats membres ne peuvent, en principe, s’opposer aux droits exclusifs des auteurs visant à permettre ou interdire la reproduction et la communication au public de leurs œuvres.
L’article 5, §3(n) de cette directive prévoit toutefois que les Etats membres peuvent établir une exception à ces droits „lorsqu’il s’agit de l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherche ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux [de bibliothèques accessibles au public, des établissements d’enseignement, des musées ou des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect],d’œuvres et autres objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à des conditions en matière d’achat ou de licence“.
Dans l’affaire en cause, une université (Technische Universität Darmstadt) avait numérisé un livre publié par Eugen Ulmer KG, une maison d’édition allemande, avant de le proposer sur ses postes de lecture électronique. Il n’était toutefois pas possible de consulter simultanément un nombre d’exemplaires de l’œuvre supérieur à celui disponible dans le fonds bibliothécaire. L’université ayant refusé l’offre de la maison d’édition d’acquérir des exemplaires de l’œuvre sous format électronique, Eugen Ulmer souhaitait interdire à l’université de numériser ledit livre pour empêcher les usagers de la bibliothèque d’imprimer ou de stocker sur une clé usb tout ou partie du livre et l’emporter sous cette forme hors de la bibliothèque.
Le Bundesgerichtshof (la Cour fédérale de justice d’Allemagne) a interrogé la Cour de Justice afin de savoir si la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur permet aux établissements visés par cette disposition de numériser une œuvre, si cet acte de reproduction est nécessaire aux fins de mettre l’œuvre à la disposition du public au moyen de terminaux spécialisés.
Pour répondre à cette question, la Cour rappelle tout d’abord que la limitation découlant de l’article 5, §3(n) de la directive vise à promouvoir l’intérêt public lié à la promotion des recherches et des études privées, par la diffusion des connaissances, ce qui constitue, en outre, la mission fondamentale d’établissements tels que les bibliothèques accessibles au public.
Ainsi, la Cour considère que, même si le titulaire de droits offre à une bibliothèque de conclure à des conditions adéquates des contrats de licence d’utilisation de son œuvre, la bibliothèque peut se prévaloir de l’exception au profit des terminaux spécialisés.
La Cour estime ensuite que la directive ne s’oppose pas à ce que les Etats membres accordent aux bibliothèques le droit de numériser les œuvres de leur collection, lorsqu’il s’avère nécessaire, à des fins de recherches ou d’études privées, de mettre ces œuvres à la disposition des particuliers au moyens de terminaux spécialisés.
En effet, selon la Cour, il découle du droit de communication d’œuvres dont bénéficient les établissements visés par la disposition en cause, un droit accessoire de numérisation des œuvres qui ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. La Cour précise toutefois que la numérisation n’est admissible que dans les limites d’actes spécifiques, ce qui exclut la numérisation de l’ensemble des collections.
La Cour précise toutefois que ce droit de communication d’œuvres ne couvre a priori pas la possibilité qui serait offerte aux usagers de la bibliothèque d’imprimer les œuvres sur papier ou de les stocker sur une clé USB à partir des terminaux spécialisés. Dès lors que ces actes doivent être qualifiés de reproductions qui ne sont pas nécessaires à la mise à disposition des usagers des œuvres au moyen de terminaux spécialisés et qu’ils ne sont, en outre, pas effectués par les établissements mais bien par les usagers eux-mêmes, ils ne sauraient être couverts par l’article 5,§3(n) de la directive.
La Cour n’en conclut pas automatiquement au caractère illicite de la pratique de copie sur clé USB ou d’impression, dans la mesure où elle réserve, en fonction des circonstances du cas d’espèce et des dispositions nationales concernées, la possible application de l’exception de reproduction à des fins privées (article 5, §2, (a) ou (b) de la Directive 2001/29). Dans ce cadre, il faudra vérifier que l’impression ou la reproduction sous format numérique par l’utilisateur du terminal spécialisé ne soit pas de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni à causer un préjudice injustifié aux intérêts des auteurs. La Cour souligne ainsi le fait que la longueur du texte ainsi reproduit doit être prise en considération dans le cadre de cette évaluation.
La Cour souligne également qu’il faut prendre en compte l’éventuelle application du mécanisme de compensation équitable prévu par la législation nationale applicable. Le cas d’espèce était particulier à ce sujet, puisque les œuvres reproduites étaient, à l’origine, diffusées sous format analogique. La mise à disposition de fonctionnalités de sauvegarde (via une clé USB) et d’impression relève donc d’une décision de la bibliothèque ayant numérisé les œuvres et non d’une décision des titulaires de droits.
Unsere Empfehlung:
L’arrêt de la Cour confirme la nécessaire prudence en matière d’exceptions au droit d’auteur.
Si la numérisation des œuvres par les bibliothèques peut être admise sans l’accord des titulaires de droits aux fins de les rendre accessibles sur des postes de lecture électronique, la question de l’impression ou de la reproduction sous format numérique (via notamment des clés USB) est plus délicate.
La Cour pose certaines balises qu’il convient de ne pas franchir, mais renvoie au juge national pour une évaluation basée sur toutes les circonstances du cas d’espèce.
La détermination de la légalité de ces reproductions – effectuées par l’utilisateur des œuvres et non par la bibliothèque elle-même – nécessite donc un examen approfondi, en fonction des conditions posées par la législation nationale applicable.
Toute activité impliquant l’exploitation d’œuvres d’autrui doit dès lors être envisagée avec prudence, après un examen rigoureux de la conformité des actes concernés aux conditions de l’exception sur laquelle l’activité en question entendrait se fonder.