La violation de droits de la propriété intellectuelle est interdite sur internet comme dans le monde physique. La règle est toutefois difficile à faire respecter en ligne. C’est pourquoi le législateur a mis à charge des intermédiaires de la société de l’information – qu’il s’agisse de Google, Youtube, Facebook ou Twitter – l’obligation conditionnelle de veiller à ce que leurs services ne soient pas utilisés pour porter atteinte aux droits intellectuels de tiers. Chacun de ces intermédiaires offre aujourd’hui à ses utilisateurs la possibilité de se plaindre en ligne et de solliciter la suppression des contenus publiés en violation de leurs droits. Les intermédiaires n’étant toutefois pas des juges, leur intervention est parfois excessive. Il existe un risque que les procédures de contrôle mises en place par les intermédiaires soient instrumentalisées pour porter préjudice à un concurrent. Ce fut notamment le cas dans l’affaire de la Spiruline. Cette affaire a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel de Lyon dont les enseignements sont pour l’essentiel transposables en droit belge.
Les actes de concurrence déloyale de Spiruline sans frontière
Dans l’affaire en cause, deux concurrents commerçants de spiruline étaient actifs sur le marché français. Le premier avait enregistré le nom de domaine village-spiruline.fr en 2011. Ce site internet était lui-même relayé sur deux pages Facebook, soit les pages Facebook/Spirulinefrance et Facebook/Villagespiruline. Dans ce contexte, un concurrent, la société Spiruline sans Frontière, déploiera une stratégie élaborée pour désorganiser les activités de son rival. Notamment, Spiruline sans frontière: introduira une demande de marque «Village Spiruline», semblable à l’adresse du site internet de son concurrent; puis, sur la base de cette demande de marque: d’une part, introduira une demande de blocage du nom de domaine équivalent auprès de l’Afnic – l’Association française pour le nommage Internet en coopération – soit, le régulateur français des noms de domaine ; d’autre part, introduira une demande de blocage à l’égard des sites-relais créés sur Facebook. Dans un premier temps, les démarches de Spiruline sans frontière réussissent partiellement : elle obtient la marque Village Spiruline, et obtient le blocage des pages Facebook. Par contre, l’Afnic rejette la demande de blocage du site Village Spiruline originaire, dans la mesure où le nom de domaine du site avait été enregistré antérieurement à la marque.
La décision de la Cour d’appel de Lyon du 18 décembre 2014
Devant les juridictions de Lyon, le gérant de l’entreprise Village Spiruline contre-attaque. Il sollicite – et obtient – la cession forcée de la marque Village Spiruline pour fraude, compte tenu de l’ensemble des manœuvres déloyales déployées par Spiruline sans frontières. Village Spiruline obtient également la confirmation par la Cour d’appel de Lyon de la condamnation déjà prononcée en première instance contre Spiruline sans frontière et obligeant cette dernière à retirer les deux plaintes qu’elle avait introduite auprès de Facebook. Chose intéressante, le jugement rendu en première instance avait déjà condamné Spiruline sans frontière à procéder au retrait des plaintes. L’arrêt de la Cour d’appel fournit alors l’occasion de faire le point sur les remèdes imposés par le premier juge. À cette occasion, la Cour constate que Spiruline sans frontières a effectivement procédé au retrait de ses plaintes auprès de Facebook, mais que ces démarches n’ont permis de lever le blocage que pour l’un des deux sites. Sans en être certaine, la Cour avance l’hypothèse que celle des deux pages qui reste bloquée – soit, la page Facebook/Spirulinefrance – enfreindrait d’autres dispositions de la charte Facebook, laquelle prohibe également l’usage d’adresses contenant exclusivement des termes génériques. La plainte de Spiruline sans frontières ne serait donc plus la cause du blocage mais n’aurait été que l’occasion d’attirer l’attention de Facebook sur cette adresse.
Si Spiruline sans frontière ne peut rien faire de plus pour mettre fin au blocage, elle n’est pas pour autant tirée d’affaire. Elle est également condamnée pour le préjudice commercial causé à Village Spiruline. Ainsi, la Cour d’arrêter «qu’un chiffre d’affaire, et donc une marge, ont été perdus par le blocage des pages Facebook et qu’il est certain que cette circonstance a eu une incidence sur la dégradation, tant du classement dans le moteur de recherches le plus utilisé en France, que de la fréquentation effective du site marchand.». Compte tenu du chiffre d’affaires réalisé jusqu’alors, la perte commerciale de Village Spiruline,y compris la«perte de visibilité», de «référencement» et des «contenus» est chiffrée à 20.000 euros par la Cour. Cette obligation s’ajoute à une condamnation pour préjudice moral de 10.000 euros et à une obligation de publication du jugement, qui avaient toutes deux déjà été prononcées en première instance.”
Ons advies:
Cet arrêt nous permet de rappeler que les droits de propriété intellectuelle sont protégés en ligne, en ce compris sur les réseaux sociaux. En cas de violation des droits, des mécanismes existent pour réagir rapidement et demander le retrait des contenus contrefaisants. Tout usage abusif de ces mécanismes de protection est punissable, cependant. En matière de concurrence loyale, la règle est toujours la même : une entreprise peut adopter une stratégie favorable à son commerce, mais non pas adopter des pratiques destinées à nuire à un concurrent en particulier.
Des sanctions lourdes peuvent être prononcées ; qu’il s’agisse d’obligations de publication – en l’occurrence, l’obligation de publier pendant trois mois le jugement sur la page d’accueil du site de la partie condamnée – ou qu’elles soient financières. Notons sur ce dernier point, que la dégradation du référencement en ligne peut également être chiffrée pour donner lieu à une indemnisation de la victime.”