Bhaalu est un boîtier connecté commercialisé par la société Bright Brain Interface. Branché à la télévision, Bhaalu permet à son utilisateur de visionner en différé les programmes des chaînes auxquelles il est abonné. Comment cela marche-t-il ? En pratique, Bright Brain Interface enregistre sur des serveurs externes – le cloud – les émissions diffusées par différentes chaînes de télévision et Bhaalu donne accès au contenu de ses serveurs durant 90 jours.
L’idée était bonne ; le succès commercial est rapidement au rendez-vous. Au final, ce sont plus de 70.000 personnes qui s’abonnent à Bhaalu pour pouvoir voir et revoir en différé leurs émissions de télévision favorites.
L’idée défendue par Bhaalu est d’ailleurs partagée avec différents opérateurs majeurs de l’audiovisuel ; on pense notamment à l’option Replay de Belgacom). Toutefois, le succès commercial n’a pas suffi à mettre Bright Brain Interface à l’abri des actions en justice. Il faut dire qu’à la différence des autre opérateurs, Bhaalu propose des possibilités de rediffusion plus larges dans le temps et – surtout – a été développé sans négociation préalable avec les auteurs, producteurs ou chaînes de télévision.
Or, pour rappel, les programmes de télévision sont des œuvres audiovisuelles protégées par la propriété intellectuelle :
- d’une part, les auteurs et producteurs sont titulaires de droits d’auteur sur leurs programmes (et souvent, les chaînes de télévision sont elles-mêmes productrices des programmes qu’elles diffusent) (Code de droit économique, art. XI.179 et 182);
- d’autre part, les chaînes – ou organismes de « radiodiffusion » selon la loi – sont titulaires de droits « voisins » au droit d’auteur leur permettant d’interdire la rediffusion des leurs émissions sans autorisation (Code de droit économique, art. XI.215).
Dans ces circonstances, plusieurs chaînes de télévision dont la VRT, Medialaan (VTM, 2BE) et SBS Belgium (VIER, VIJF) décident d’agir en justice pour solliciter l’interdiction de Bhaalu.
La décision du Tribunal
Devant le Tribunal, Bright Brain Interface se défend en invoquant le droit de « copie privée », soit cette exception au droit d’auteur prévue à l’article XI.190 du Code de droit économique qui permet à tout particulier de faire une copie d’une œuvre pour son usage privé.
Selon cette défense, Bhaalu serait un produit – et non pas un service – et ne serait rien de plus qu’un magnétoscope des temps modernes.
Cette défense ne convainc pas le Tribunal, qui condamne Bright Brain (Prés. Com. Anvers, 4 nov. 2014, VRT, Medialaan SBS Belgium c. Right Brain Interface, RG A/14/1067).
Selon le Tribunal, l’exception de copie privée ne peut pas s’appliquer lorsque la source de la copie est illégale. Or, ici, avant d’être visionnés à titre privé par les téléspectateurs, les programmes étaient copiés par Bright Brain Interface sur ses serveurs, sans autorisation, donc de manière illégale.
En outre, le Tribunal juge que même si Bright Brain Interface n’est pas responsable des actes de contrefaçon commis par les utilisateurs de Bhaalu, Bright Brain agit comme « intermédiaire » qui – comme Google ou d’autres prestataires de services – a à sa charge, en vertu de l’article VI.125 du Code de droit économique, l’obligation de veiller à ce que ses services ne soient pas utilisés pour porter atteinte au droit d’auteur.
Pour Bright Brain, la sanction est draconienne. Le Tribunal ordonne l’arrêt de la commercialisation de Bhaalu en Belgique dans le mois qui suit la signification du jugement, à peine d’astreinte de 1.000 € par utilisateur et par semaine de retard.
Unsere Empfehlung:
On le voit, les outils numériques qui permettent une consultation des contenus audiovisuels ne cessent de se développer, qu’il s’agisse d’applications ou d’infrastructures.
Les entrepreneurs qui souhaitent avancer dans cette voie doivent bien sûr veiller au respect des droits des auteurs et des producteurs de contenu, mais également – et c’est que ce nous rappelle la décision Bhaalu – au respect les droits des diffuseurs, s’ils interceptent, sauvegardent, ou rediffusent leurs signaux.
Il s’agit d’un point crucial, qu’il faut régler avant de lancer son activité, et non pas lorsque celle-ci est déjà prospère.
On comprend que l’obtention de l’autorisation de tous les acteurs du secteur constitue un obstacle préalable difficile à franchir pour une nouvelle entreprise, particulièrement quand un nouveau produit bouscule les habitudes du secteur.
Toutefois, des solutions existent. Dans un tel cas de figure, un appel à la médiation du nouveau Régulateur institué par l’article XI.275 du Code de droit économique est la voie à préconiser pour négocier les accords nécessaires.